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Des libraires indépendants toujours fragiles mais toujours décidés et présents

Des libraires indépendants toujours fragiles mais toujours décidés et présents


« À l’occasion de la journée mondiale du livre et du droit d’auteur, 480 libraires indépendants de France et de Belgique francophone créeront une fois de plus l’événement le samedi 26 avril prochain. En réinterprétant librement la tradition catalane de la Sant Jordi, ils offriront ce jour-là à leurs clients une rose et un livre.»

 

Voici donc une nouvelle journée spectaculaire, une autre occasion de mettre en avant quelque peu solennellement le formidable travail réalisé au quotidien par celles et ceux qui semblent depuis quelques années, malgré leur fragilité structurelle, le mieux résister aux désastres régulièrement annoncés pour la lecture et le livre.



Un commerce fragile…


Réalisant collectivement la plus faible marge nette de tout le commerce de détail, et donc pour la plupart d’entre elles et d’entre eux fréquemment « juste » au bord du gouffre, à la merci de la moindre hausse de loyer, de la moindre baisse de la remise octroyée par les diffuseurs, et aussi, bien entendu, du moindre ralentissement de la fréquentation et des achats de leurs clients, les librairies indépendantes s’affirment pourtant chaque mois un peu plus comme des acteurs solides, motivés, et parfois décisifs, à leur échelle pourtant souvent modeste, de la vie culturelle des espaces où elles évoluent.

Qu’observe le lecteur curieux qui s’y rend, quittant le confort moelleux de son écran et du fauteuil où des sirènes algorithmiques et trop souvent défiscalisées tentent de le maintenir cloîtré ?



… mais toujours dynamique


Que les librairies indépendantes déploient une formidable énergie, parfois peut-être, sans doute, certainement, à la limite du déraisonnable, pour créer du sens autour de la culture qu’elles mettent en action : multiplication des rencontres avec auteurs, éditeurs, traducteurs ou critiques, des échanges collectifs et individuels, de l’engagement en discussion, avec passion et pourtant humilité (contrairement à une idée reçue restant tenace, colportée sans innocence par certains acteurs intéressés à rompre ces contacts physiques, profitant de quelques cas isolés de morgue pachydermique observables ici ou là), démultiplication des curiosités, efforts permanents pour s’affranchir de la nourriture pour bébés en pots formatés, prémâchée et prédigérée, qu’une trop grande partie de la « chaîne du livre » souhaiterait tant leur voir, simplement et avec discipline, « distribuer » aux chalands, simple « relais » d’un marketing décidé tout là-haut, sur la montagne.

Que les librairies indépendantes, pour un grand nombre d’entre elles, bien loin des vieilles images d’Epinal, alors même que leur capacité d’investissement demeure extraordinairement faible, utilisent toute la gamme des moyens modernes à leur disposition, n’hésitant pas tenter et expérimenter sans relâche : sites interactifs, insertion puissante et cohérente dans les réseaux sociaux, logiciels comptables et logistiques pointus, outils de gestion au plus près qui ne se transforment néanmoins pas en uniques étalons de leur « performance », formation continue dynamique, conjonction d’offres physiques et d’offres numériques, interventions en amont dans la préparation du lancement de certains OVNIs littéraires.



Les guérilleros de la culture


Que les librairies indépendantes, fragiles guérilleros de la culture, s’adaptent très souvent beaucoup plus et beaucoup mieux qu’il n’est convenu de le dire aux mouvements de leurs clientèles, qu’elles contribuent peu à peu à façonner en communautés souples, réactives, fermement critiques vis-à-vis des succès imposés, et généreuses dans leur bouche-à-oreille vis-à-vis des révélations surgies de (presque) nulle part. Qu’elles jouent ainsi pleinement leur rôle social et leur rôle culturel, exprimant au quotidien que l’indépendance (de l’assortiment, du choix, de la passion individuelle communiquée à un interlocuteur individuel) est un choix réel, et récompensé.

Il faut souligner au passage que les librairies indépendantes bénéficient aussi, dans leur tâche, d’un des meilleurs systèmes d’encouragement public existant au monde, système qui, même s’il reste quelque peu complexe à appréhender dans toute ses dimensions par des organisations restant justement de taille terriblement humaine, permet à la librairie indépendante de prendre un peu plus de risques (de surface, de stock, d’équipement, d’organisation de rencontres) que ce que lui permettrait sa structure financière si fragile.

Dans un contexte qui reste certes difficile, car subissant bien entendu au quotidien la pression de grandes entreprises de vente à distance affranchies de nombreuses contraintes, les librairies indépendantes réinventent de fait en permanence leur métier, imaginant toujours plus fréquemment des services et des occasions d’échange supplémentaires. C’est ce que nous faisons chez Charybde, de notre mieux, comme bien d’autres librairies à Paris ou ailleurs (les citer toutes est impossible, mais on peut mentionner, par exemple, l’Attrape-Cœurs, le Comptoir des Mots ou le Thé des Ecrivains, à Paris, Critic à Rennes, Point d’Encrage à Lyon, ou l’étonnante Voyage au Bout de la Nuit à Saint-Rémy-de-Provence).

Ce que la lectrice curieuse ou le lecteur aventureux constatent avant tout en franchissant le seuil physique de ces librairies (ou le seuil virtuel de leurs sites), c’est l’engagement personnalisé de personnes pour qui le livre compte, et qui demeurent plus que jamais fermement décidés à faire partager cette vision à toutes celles et tous ceux qui le souhaitent, pour leur plus grand bonheur.

 

 

Hugues Robert

Libraire (Librairie Charybde), entrepreneur culturel (Volvox Music, Double Sens Voyages), professeur et formateur en stratégie d’entreprise.


 

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